Les Premières Nations, grandes absentes de l’histoire canadienne racontée aux personnes immigrantes - New Canadian Media
Les enjeux de réconciliation relèvent essentiellement de la responsabilité fédérale, souligne l’organisme Indigenous Watchdog. Photo : Aedrian/Unsplash
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Les Premières Nations, grandes absentes de l’histoire canadienne racontée aux personnes immigrantes

Quatre ans après avoir pris l’engagement de corriger leurs guides pédagogiques, les services d’immigration tardent à y faire une juste place aux Premières Nations.

Huit ans après la publication des 94 appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation (CVR), Douglas Sinclair, de l’organisme à but non lucratif Indigenous Watchdog, estime qu’il n’existe « aucune raison valable » pour que les ressources à l’intention des personnes immigrantes ne soient pas actualisées en ce qui a trait aux Premières Nations.

La recommandation 93 de la CVR demande au Canada de « réviser son examen de citoyenneté et sa trousse d’information pour les nouveaux.elles arrivant.e.s afin de refléter une histoire plus inclusive des nations autochtones d’ici ».

Un travail impliquant un autre récit des relations et des traités avec les Premières Nations, lors de la « fondation » du Canada. 

« Il existe une documentation de la répression exercée de sang-froid par le gouvernement canadien, conséquemment à la Loi sur les Indiens », note Sinclair, qui est membre de la Nation Peguis, en entrevue à NCM.

Offrir un récit objectif des relations entre le Canada et les Premières Nations – et en particulier de l’histoire des pensionnats autochtones – constitue un objectif essentiel des 94 appels à l’action de la CVR. 

Douglas Sinclair, qui exerce aussi le métier d’éditeur, considère la ceinture de wampum, représentant deux canots côte à côte, comme un symbole des relations et la façon dont elles étaient censées se dérouler entre les nouveaux.elle.s arrivant.e.s et les peuples autochtones, en vertu du traité Un plat à une cuillère. 

Les ceintures de wampum à deux rangs sont tissées avec des perles. Elles sont décrites comme un « traité vivant », exprimant de manière profondément personnelle la quête qui leur donne sens et vie.
Source de la photo: site Web de la nation Onondaga

« Le guide de citoyenneté devrait mettre en lumière ce qui a défait les relations entre le Canada et les peuples autochtones, de même que les moyens mis en œuvre pour les rétablir », croit M. Sinclair. 

La mission d’Indigenous Watchdog consiste à faire une vigie – en collaboration avec le Yellowhead Institute et la CBC – de la mise en œuvre des 94 appels à l’action de la CVR. 

Dans un communiqué de presse émis le 26 janvier dernier, l’organisme pointe du doigt un manque de volonté politique à tous les paliers gouvernementaux dans l’exécution des appels à l’action. L’organisme invite à l’élaboration d’une perspective intersectionnelle, notamment en ce qui concerne les recommandations liées à la justice, la protection de l’enfance, la santé et la protection territoriale.

Indigenous Watchdog note que depuis leur publication en 2015, c’est seulement 14 % des 94 recommandations qui ont été mises en œuvre. Aucunes mesures n’avaient été prises pour 38% d’entre elles avant le début de la nouvelle année; celles-ci demeuraient ainsi complètement en suspens en décembre 2022.

En juillet 2017, le Canada a fait l’annonce d’une future révision du guide d’étude pour l’examen de citoyenneté, dans le but de modifier les informations reliées aux Premières Nations. Une ébauche présentée à la suite de consultations avec des historien.ne.s, ainsi qu’avec l’Assemblée des Premières Nations, Inuit Tapiriit Kanatami et le Ralliement national des Métis.

Deux ans plus tard, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a annoncé que la refonte du guide s’étendrait également aux engagements du Canada en matière de diversité culturelle et de langues officielles, de même qu’à l’évolution en matière de libération sociale pour les LGBTQ+, les femmes et les personnes handicapées, ainsi que des moyens pour l’acquisition d’une langue seconde. 

Indigenous Watchdog estime que le 31 décembre 2022, la mise en œuvre de la recommandation 93 demeurait « bloquée ».

Autres perspectives

Selon M. Sinclair, le principal obstacle à la réconciliation avec les Premières Nations demeure le refus du Canada de reconnaître l’autonomie autochtone, mais aussi de respecter les juridictions qui découlent des traités déjà conclus.

Doctorante à l’Université métropolitaine de Toronto, Binish Ahmed, elle-même asiatique et autochtone, étudie les enjeux d’intersection entre personnes immigrantes et personnes des Premières Nations. À son avis, l’absence de volonté politique qui s’exprime à nouveau est ancrée dans l’histoire eurocentrique du Canada.

« Les nouveaux.elles arrivant.e.s découvrent un pays mis en place par des colons européens, à l’origine du projet capitaliste et colonial du Canada », explique la chercheuse.

« Si les compétences des peuples autochtones, leur leadership traditionnel, leurs lois et leurs systèmes de gouvernance ne sont pas respectés, nous allons continuer de suivre le chemin du génocide colonial », dit Binish Ahmed.

“Lorsqu’un.e nouvel.le arrivant.e – ou n’importe quel.le migrant.e sur ce territoire – fait l’apprentissage de cette situation historique, il peut alors l’intégrer par un processus authentique en établissant des relations respectueuses avec les personnes dont la terre est celle sur laquelle il.elle se trouve ».

Quelle réconciliation?

« John Macdonald, c’est le père de la confédération et ce qu’il a fait, c’est un génocide, rappelle l’auteur et géographe Jean Morriset. Je crois qu’on doit le garder à l’esprit ».  

À titre de chercheur, Jean Morisset a été invité plusieurs fois à donner son avis dans le contexte des consultations faites lors de la Commission de Vérité et Réconciliation. Son regard sur ce processus reste cependant critique. « C’est une affaire de Blancs, dit l’auteur du livre Sur la piste du Canada errant. Qui se réconcilie avec qui? » 

L’écrivain et professeur, qui a récemment pris part par plusieurs textes au disque Maudit Silence de l’artiste Chloé Sainte-Marie, se passionne depuis plusieurs décennies pour l’essor des cultures et des langues des Amériques. 

À son avis, la CVR s’inscrit dans une politique d’aveuglement. « Cette commission déshumanise encore une fois les personnes des Premières Nations, déplore-t-il. Elle repose sur l’argent offert en guise de réparation, c’est-à-dire l’argent que les Blancs donnent aux victimes des pensionnats pour qu’il.elle.s pardonnent les souffrances qu’on leur a imposées ». 

Un processus qui fait écho à ceux par lesquels l’Église catholique cherche à indemniser les victimes des abus commis par le clergé. « Une commission qui vise à faire la lumière sur le génocide doit se fonder sur la vérité, soulève le chercheur. Qui peut être en mesure d’imposer une réconciliation et de mettre un prix sur les souffrances vécues par les victimes des Premières Nations? »

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Kaitlyn Smith

Journaliste multiplateforme, Kaitlyn (il.elle.s) résident à Scarborough, en Ontario. Il.elle.s s'intéressent au journalisme d’immersion et à la visibilisation des PANDC. Vraie.e.s millénial.es.aux, il.elle.s sont propriétaires d'une petite entreprise, charpentier.ère.s et photographes indépendant.e.s. Il.elle.s s'intéressent à NCM pour son regard critique. Les journalistes se consacrent à la vérité et à la démocratie. Nos communautés n'ont pas toujours eu accès à ces privilèges. NCM comble une grande lacune, que les médias nord-américains ont longtemps négligée. 

 

Alexis Lapointe est rédacteur professionnel et journaliste indépendant. Après l’obtention en 2021 d’un Baccalauréat ès arts de l’Université de Montréal, il travaille actuellement à une série de reportages en relation avec l’art contemporain au Mexique. Également, il s’intéresse à différents enjeux sociaux et en particulier aux thématiques migratoires. Au cours des dernières années, il a produit des textes pour plusieurs médias et en particulier pour la Revue Hispanophone.

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