Les coûts invisibles de l’immigration au Canada - New Canadian Media
Drapeau canadien flottant devant l'édifice du Parlement sur la colline du Parlement à Ottawa.
L’immigration au Canada est un rêve coûteux qui devient de plus en plus inaccessible pour la population libanaise. Crédit : Jason Hafso/Unsplash
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Les coûts invisibles de l’immigration au Canada

Après un premier article sur les tests de français inaccessibles à la plupart des Libanais, Marine Caleb tente de montrer que ces examens sont la pointe de l’iceberg d’un système sélectif aux nombreux dommages.

L’immigration au Canada. Un rêve coûteux qui devient de plus en plus inaccessible pour la population libanaise. Enlisés dans une crise économique historique, depuis bientôt trois ans, les Libanais quittent plus que jamais leur pays. Et pour ceux qui choisissent le Canada, le processus est long, coûteux et difficile. À commencer par les tests de français.

En plus des frais compris entre 150 et 220 euros ($200 – $300), un candidat devra probablement payer des cours de langue pour avoir un niveau suffisant, mais aussi débourser plus de 1 300 $ pour payer la résidence permanente et posséder 10 000 $ sur son compte bancaire pour prouver sa capacité à vivre dans le pays.

D’autant que ces frais doivent être payés en dollars canadiens ou en euros, alors qu’ils sont nombreux à toucher leur salaire en livres libanaises, qui a perdu 90% de sa valeur. Le coût de la vie augmente et de plus en plus de frais et de services passent en dollars US, rendant la vie quotidienne de plus en plus difficile.

Immigre qui peut

La seule solution est donc de partir, pour toujours ou juste le temps que l’économie s’améliore. Nombreux sont ceux qui continuent à choisir le Canada et à débourser leur fortune, certains plus facilement que d’autres. Même les personnes qui avaient un bon niveau de vie avant la crise dépensent toutes leurs économies dans cette immigration.

Pour Lara Farhat, ingénieure agronome vivant près de Beyrouth, les tests de langue peu accessibles favorisent certaines populations plutôt que d’autres. « C’est uniquement pour ceux qui ont les moyens, les classes moyennes et riches », estime celle qui vient d’obtenir sa résidence permanente; elle compte s’installer au Canada avec son mari et ses deux jumelles durant l’automne 2022.

Un système sélectif

Plus largement, selon la spécialiste Graziella Seif, c’est tout le système d’immigration canadien qui est difficile d’accès. « Il y a beaucoup d’embûches : les frais, la longueur du processus, les langues, etc. Ce ne sont pas tous les Libanais qui peuvent partir comme cela », explique la présidente de l’United Ambassadors at Large for Global Integration et collaboratrice du bureau de consultation Canada On Path.

Spécialiste de l’immigration au Canada, le professeur à l’École des affaires publiques communautaires de l’Université Concordia Chedly Belkhodja parle sans détours : « Il y a un système de sélection très clair des personnes selon leur éducation, leurs moyens et leurs qualifications, avec l’idée qu’ils pourront s’adapter plus facilement ». 

Il pointe aussi du doigt que malgré ce système, il se trouve qu’il est plus difficile pour les ressortissants de certains pays d’immigrer. « C’est plus long pour certaines régions du monde, il y a plus d’exigences et de blocages, qui peuvent être dus à un nombre plus élevé de demandes ou à un problème de confiance », explique M. Belkhodja.  

Fuite des cerveaux

Si d’un côté, le système de points permet au Canada de sélectionner ses nouveaux arrivants, de l’autre, le Liban se vide de ses talents et de sa jeunesse. Si les départs ont toujours été importants au Liban, la situation s’accentue à mesure que la crise s’enracine. 

« La fuite des cerveaux prend une grande place dans nos vies au Liban en ce moment. Plusieurs rapports montrent qu’il y aurait 60 fois plus de personnes prenant des billets aller simple que d’ordinaire », explique Jasmin Lilian Diab, directrice de l’Institut pour les études migratoires pour Université libanaise américaine (LAU). 

La majorité des personnes qui s’en vont sont des travailleurs. La fuite concerne surtout le secteur médical : 40 % des médecins auraient quitté le pays et 30 % des infirmiers, selon des données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). « Mais cela concerne aussi différentes expertises [comme les ingénieurs] et pas forcément très spécialisés. Beaucoup de personnes aux faibles revenus sont parties », poursuit la chercheuse. 

Fuir pour l’asile

Quid de ceux qui n’ont pas assez étudié, qui ne parlent pas assez de langues ou qui ne sont pas issus d’une minorité discriminée et en danger au Liban ? Ils n’ont d’autres choix que de partir en bateau, au péril de leur vie, pour demander l’asile depuis Chypre ou l’Italie. « Si la voie régulière n’est pas disponible ou accessible, on ne peut blâmer une personne de partir de manière irrégulière. Tout le monde a le droit de demander l’asile », estime Jasmin Diab. 

En effet, l’immigration au Canada est sélective et le droit d’asile l’est aussi. Les Libanais ne peuvent pas demander l’asile depuis le Liban, car le pays n’est pas considéré comme étant en guerre. Ainsi, malgré la précarité et la détresse, la situation des Libanais ne répond pas aux critères de la Convention de Genève de 1951.

Tout faire pour partir

Environ 80 % de la population libanaise vit actuellement sous le seuil de pauvreté. Pour beaucoup, l’espoir d’une vie meilleure se trouve donc à l’étranger. Et ce désir de fuir influence tous leurs choix : certains choisissent d’étudier dans des secteurs spécifiques (informatique, ingénierie, etc.), car ils sont recherchés et bien payés, d’autres apprennent des langues pour gagner des points ou jouent de leurs relations déjà installées ailleurs.

« Mes étudiants me demandent tout le temps comment ils peuvent faire pour partir. Ils cherchent des doctorats, des emplois à l’étranger, car il n’y a rien ici », raconte Jasmin Diab. Et pour les accueillir, les pays comme le Canada veulent justement « la crème de la crème » et recrutent même à l’étranger. 

Pour améliorer l’immigration

Pour Lara Farhat, tout ce système d’immigration est injuste et illogique, servant seulement ceux qui n’en ont pas besoin. « Il faudrait que l’immigration canadienne serve aux gens qui n’ont pas beaucoup d’argent. Ce sont eux qui veulent vraiment immigrer et s’installer, mais ils ne peuvent pas payer », regrette-t-elle. « Si tu veux des immigrants, il faut les aider et comprendre le combat qu’ils vivent dans certains pays », ajoute-t-elle. 

De son côté, Graziella Seif essaie de montrer que l’émigration n’est pas toujours positive. En tant que Libanaise, elle ne veut pas pousser les Libanais dehors. Elle essaie plutôt de les informer sur les réalités de la migration : « J’essaie de les pousser vers la voie légale et de les faire revenir au Liban ». « J’ai choisi de rester au Liban pour aider mon pays. On doit être positif, imaginer un autre futur, car rien n’est facile », partage-t-elle avec espoir.

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Journaliste indépendante, Marine a travaillé en France, au Liban et au Québec. Passionnée par les questions féministes, l’identité, l’intégration et les migrants, elle se plaît à défaire les clichés et décortiquer les clivages. Elle a pour ambition de combattre les injustices et les discriminations avec des mots et des solutions.

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