« Chercher le printemps  » : Une exposition pour comprendre les désillusions et succès des immigrantes - New Canadian Media
Laurence Dompierre-Major pose avec 3 participantes de l'exposition « Chercher le printemps – Parcours croisés de femmes immigrantes dans le Centre-Sud »
De gauche à droite, Sophie Kahuongo Mulanga, Laurence Dompierre-Major, Samar Almsiati et Rafif Kobeissi. L'exposition « Chercher le printemps – Parcours croisés de femmes immigrantes dans le Centre-Sud » est une création de Dompierre-Major. Crédit : Marine Caleb
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« Chercher le printemps  » : Une exposition pour comprendre les désillusions et succès des immigrantes

Du départ à l’intégration, il y a tout un monde. Vingt et une femmes femmes immigrantes racontent le leur dans l’exposition « Chercher le printemps » à l’Écomusée du Fier du monde.

La migration est multiple. Il y a autant de manières de la vivre que de personnes sur Terre. C’est ce que montre l’exposition « Chercher le printemps – Parcours croisés de femmes immigrantes dans le Centre-Sud », présentée jusqu’au 4 septembre 2022 à l’Écomusée du Fier Monde, à Montréal. Cela, à travers le portrait de 21 femmes impliquées dans ce « quartier au cœur de tout », selon les mots de Karyna Enriquez, une participante.

« Je voulais mettre les femmes de l’avant », explique Laurence Dompierre-Major, la documentariste derrière l’exposition et le livre, qui sont réalisés par le Carrefour de ressources en interculturel (CRIC) dans le cadre du projet Raconte-moi Centre-Sud du Mouvement Courtepointe

Se voulant surtout positive, l’exposition montre le printemps trouvé après les difficultés, l’attente et les doutes. Les portraits révèlent combien le bénévolat au Centre-Sud a été essentiel à leur intégration. De même pour l’apprentissage du français, aussi difficile qu’il puisse être. Ces deux éléments leur ont permis de créer des liens avec des personnes en dehors de leur communauté d’origine et de s’impliquer dans leur nouveau pays. 

Tout laisser derrière soi

La migration est surtout un long processus, fait de multiples défis. À commencer par le départ, qu’il soit choisi ou non. Partir est toujours une rupture, un déracinement. Dans l’exposition, on découvre celles qui doivent tout quitter, du jour au lendemain, sans avoir jamais envisagé de partir. Il y a ces femmes qui n’ont eu d’autres choix que d’émigrer au Canada, pour fuir la guerre, la précarité ou offrir un meilleur horizon à leurs enfants. Certaines ont immigrées adultes, d’autres sont parties enfants ou adolescentes. 

Il faut tout laisser derrière soi, une famille, des amis, une ville, un quartier, parfois même des objets ou un foyer. Sa vie est compressée dans une valise, peut-être deux. Ania Zolmajd est arrivée en 2014 avec son mari et ses deux filles. « Lorsque nous sommes partis d’Iran, je me souviens que nous étions très stressés, nous sommes partis à l’aéroport avec toute la famille […] C’était très triste de dire au revoir… à ce moment-là, on se disait que c’était peut-être provisoire », raconte-t-elle dans le livre de l’exposition. 

Désillusion

S’il est difficile, le départ est surtout porté par l’espoir d’une vie meilleure. Seulement, si l’exposition révèle le bonheur de ces femmes d’avoir migré, elle permet aussi de comprendre la désillusion qu’elles ont vécu en arrivant au Québec. 

À l’étranger, le Québec et le Canada prônent leur ouverture et la facilité à trouver un emploi. Les personnes immigrées sont justement sélectionnées pour leurs expériences, leur éducation et leurs moyens. Pourtant, une fois sur place, elles sont nombreuses à devoir faire des formations d’appoint, refaire toutes leurs études faute de reconnaissance des diplômes et des compétences, ou encore qui peinent à trouver leur premier emploi. 

« Je suis ingénieure mécanique et j’ai travaillé 13 ans en Syrie. Quand je suis venue, je voulais continuer dans le même domaine », raconte Samar Almsiati, arrivée en 2006 avec sa petite famille. Pour cela, elle n’a d’autre choix que de refaire ses études et d’apprendre le français. Cela lui a pris 4 ans : après un diplôme au collège Ahuntsic, elle entre à Polytechnique pour rejoindre l’Ordre des ingénieurs en 2010. 

« Quand j’ai commencé à travailler, mon mari est tombé malade, alors j’ai dû arrêter de travailler pour m’occuper de ma famille », raconte-t-elle devant son portrait au musée. Mais elle n’a jamais « baissé les bras » et a trouvé sa voie auprès du CRIC. 

Même chose du côté de Rafif Kobeissi, une Libanaise qui a migré trois fois. « Je suis revenue une deuxième fois en 1986 à Ottawa avec mes enfants. J’avais un MBA, la citoyenneté, je travaillais dans une banque au Liban, mais je n’arrivais pas à trouver du travail », partage-t-elle lors d’une rencontre à l’Écomusée. Elle explique que cela a été une « barrière » : « je n’avais pas d’expérience et j’avais trois enfants ! ».

Intégration

L’exposition met en lumière la désillusion et le deuil migratoire par lequel les femmes sont passées à leur arrivée au Canada.Pour beaucoup d’entre elles, c’était comme repartir à zéro, car tout était à apprendre, car tout était nouveau : les études, la langue, l’épicerie, le système bancaire, les saisons, etc. C’est ainsi que commence l’intégration, un processus long interrogeant l’identité quotidiennement. Le sentiment de déchirement ne s’arrête pas du jour au lendemain. 

Pour les femmes exposées qui ont dû la quitter, il s’agit de trouver une famille dans ce nouveau pays. Pour celles qui en ont, il faut faire découvrir la culture aux enfants. Trouver la paix identitaire peut être plus long pour certaines que pour d’autres et quelques-unes seront toujours partagées entre rester et retourner. 

Face à ces défis, le regard des autres les façonne. Elles sont des étrangères, des immigrées, malgré leurs documents. Elany Mejia est arrivée en 2006. Elle se dit panaméenne, pas tout à fait canadienne et pas du tout québécoise. « Quand je dis que je ne me sens pas Québécoise, ce n’est pas parce que je ne veux pas l’être, c’est plutôt que je sens peut-être qu’il y a des gens qui ne veulent pas que je le sois », est-il écrit dans le livre à propos d’elle. 

Un sentiment qui n’est pas nouveau au Québec et qui s’est accentué ces dernières années, à mesure que le climat social s’est crispé sur les enjeux de religion, d’identité et d’immigration. De son côté, si Shiva Mohammadi-Jam est encore très attachée à son pays d’origine, l’Iran, elle explique s’être néanmoins sentie trahie par le gouvernement québécois au moment de la Loi 21. « Forcer quelqu’un à porter ou retirer le voile va à l’encontre de la liberté individuelle. Avec le nouveau projet de loi, je me suis sentie rejetée et marginalisée pour un morceau de vêtement, qui pour moi est important », a-t-elle rapportée. Ici comme en Iran, elle ressent la même frustration à ce propos. Comme les autres, elle trouve sa paix dans la diversité montréalaise et son vivre-ensemble.   

Le livre Chercher le printemps – Parcours croisés de femmes immigrantes dans le Centre-Sud est disponible à l’Écomusée du fier monde et à la Livrerie, au 1376 rue Ontario Est, à Montréal.

L’exposition est accessible jusqu’au 4 septembre 2022 à l’Écomusée du Fier Monde, et sera également présentée à la Maison de la culture Janine-Sutto du 10 septembre au 23 octobre. 

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Journaliste indépendante, Marine a travaillé en France, au Liban et au Québec. Passionnée par les questions féministes, l’identité, l’intégration et les migrants, elle se plaît à défaire les clichés et décortiquer les clivages. Elle a pour ambition de combattre les injustices et les discriminations avec des mots et des solutions.

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