Colonisation et immigration au Canada : terre d’accueil, terre d’écueils - New Canadian Media
Photo d'un passeport et des drapeaux canadiens
Selon Steven Schwinghamer, chercheur et historien au Musée canadien de l’immigration, le système d’immigration canadien « a ses racines dans la colonisation ». Photo : Andreina Romero/New Canadian Media
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Colonisation et immigration au Canada : terre d’accueil, terre d’écueils

Les liens entre la colonisation et l’immigration sont multiples et multiformes. Retour sur une histoire faite de ruptures et de continuités.

Le 17 juin 2017, à la veille de la Journée nationale des peuples autochtones, l’ex-Gouverneur général du Canada David Johnston déclarait à l’émission The House : « Nous sommes un pays basé sur l’immigration, remontant à nos “peuples autochtones”, qui étaient eux aussi des immigrants il y a 10, 12, 14 000 ans de cela * ». Une déclaration à l’époque devenue virale, fortement critiquée pour l’amalgame qu’elle pose entre Autochtones et immigrants.  

La ligne est pourtant plus floue entre immigrants et colons. Pour comprendre la distinction, il faut remonter le cours de l’histoire jusqu’à la création de la Confédération canadienne. 

Si le premier Acte d’Immigration n’est émis que deux ans plus tard, c’est à partir de 1867 que les déplacements de population vers le Canada peuvent être qualifiés d’immigration et plus uniquement de colonisation, explique Steven Schwinghamer, chercheur et historien au Musée canadien de l’immigration. 

Il précise par ailleurs que « le processus de colonisation est quant à lui constant », continue à affecter la réalité des Autochtones et infuse dans les politiques migratoires du pays.

La fabrication du « citoyen désirable » 

Le premier Acte d’Immigration de 1869 met en place les bases pour « une préférence de l’immigration britannique blanche, qui restera en place longtemps », affirme Steven Schwinghamer, et qui s’inscrit en continuité avec les pratiques qui avait cours en Nouvelle-France, avant la conquête britannique : sous la demande de l’intendant Jean Talon (1626-1694), les Français entre 16 et 40 ans étaient incités à rejoindre le « Nouveau Monde », à condition qu’ils soient en bonne santé et ne présentent pas de limitations physiques les empêchant de participer aux activités de la colonie. 

« Même dans le système de pointage aujourd’hui en cours », soutient l’historien, « il y a une préférence pour l’âge, l’occupation, une préférence basée sur l’état de santé et, bien sûr, sur la richesse ». L’accès à l’immigration canadienne est encore limité pour les personnes originaires du sud global, et les candidats à l’immigration de classes sociales inférieures ou non diplômées ne sont considérés qu’en fonction des besoins économiques du moment, explique-t-il. Selon Statistique Canada, « plus de la moitié des immigrants récents sont admis en vertu de la catégorie économique ».

Depuis les années 1960, au fil des évolutions sociales, il y a eu du progrès dans la manière de définir « qui pourrait être un citoyen désirable », reconnaît Steven Schwinghamer. Il souligne toutefois qu’« en dépit de l’apparence neutre et sans biais des politiques [migratoires] du Canada, la mécanique en place porte des biais structurels qui fonctionnent depuis de nombreuses années ».

Un même processus

Le racisme systémique, qui affecte les Autochtones comme de nombreuses personnes issues de l’immigration serait donc « le produit d’une idéologie coloniale », analyse Raul Amin Perez Vargas, professeur de sociologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

« Il y a cet intérêt aussi à précariser une société, de rétablir à partir de ces formes de domination [socioéconomique] des hiérarchies entre les populations, donc de figer leur mobilité sociale », affirme-t-il, allant même jusqu’à dire que « la marginalisation des immigrants et des Autochtones découle d’un même processus ».

Au Canada, qui fut successivement une colonie-comptoir puis une colonie de peuplement, la question économique a par exemple « été le moteur d’une idéologie de minorisation de populations, et cela depuis l’esclavage », croit le sociologue. « Il y a cet intérêt aussi à précariser une société, de rétablir à partir de ces formes de domination [socioéconomique] des hiérarchies entre les populations, donc de figer leur mobilité sociale », poursuit-il.

Théorie et pratique

La non-reconnaissance des diplômes et des acquis, l’emploi de travailleurs étrangers temporaires ou encore le rejet massif des permis d’études pour les ressortissants africains sont autant d’exemples d’un « système d’immigration qui a ses racines dans la colonisation », selon les termes de Steven Schwinghamer. 

Qu’en est-il de la place des Premières Nations, des Inuits et des Métis dans l’élaboration des politiques migratoires du Canada?

En vertu des différents traités qui régissent les relations entre les Peuples autochtones et les autorités fédérales et provinciales, elles ont théoriquement leur mot à dire. « Mais ce n’est pas le cas dans les faits », soutient l’historien. 

D’après lui, « il est inhabituel, voire presque du jamais vu, d’avoir une consultation ou une participation substantielle des communautés autochtones sur les enjeux migratoires par le passé ».

Les appels à l’action 93 à 94 du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation, paru en 2015, marquent un pas historique dans cette direction. Les autorités fédérales y sont invitées à fournir plus d’informations aux nouveaux arrivants sur « la diversité des peuples autochtones du Canada, y compris au moyen d’informations sur les traités et sur l’histoire des pensionnats », ainsi qu’à modifier le serment de citoyenneté. 

Des appels à l’action qui ont été partiellement entendus, et qui interrogent également sur le rôle que peuvent jouer les personnes issues de l’immigration dans la longue marche vers la réconciliation avec les Peuples autochtones. 


*Citation traduite de l’anglais

* Citation originale : « We’re a country based on immigration, going right back to our, quote, Indigenous people, unquote, who were immigrants as well, 10, 12, 14,000 years ago. »

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Adèle Surprenant est journaliste indépendante. Elle a travaillé en Amérique du Nord, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Europe, et s’intéresse aux questions liées à la migration, au genre, au travail et aux mouvements sociaux.

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