Le 24 et 25 juin, l’artiste camerounaise, Jacky Yenga (Essombé), rejoindra Joyce N’Sana sur scène lors du Festival d’été francophone de Vancouver. Au blues et hip-hop de la chanteuse montréalaise, elle y ajoutera sa touche personnelle : un esprit de communauté et des sons traditionnels venus tout droit d’Afrique.
L’esprit du village
Née au Cameroun dans la tribu autochtone Maka’a, Mme Yenga a grandi avec un sentiment d’appartenance et de connexion aux autres. « On avait un chef pour chaque quartier. On se connaissait tous. Les mamans de mes copines étaient mes mamans – Mama Marie, Mama Lucie, Mama Jeanette… J’avais vraiment cette conscience-là, d’exister au sein d’une communauté », se rappelle-t-elle.
Sa vie au Cameroun, elle ajoute, était marquée par la joie et l’harmonie. Elle raconte que la recherche d’équilibre avec les autres, la nature et les ancêtres, était primordial pour sa communauté, héritière de croyances animistes. C’est en chantant, dansant et jouant de la musique en groupe que les membres de sa communauté parvenaient à trouver une certaine paix intérieure.
À travers les spectacles et les événements auxquels elle est invitée, notamment dans les écoles, c’est précisément cet « esprit du village » que Mme Yenga souhaite aujourd’hui partager. « Je chante surtout pour faire chanter les gens », déclare-t-elle. « C’est une façon de cultiver l’amitié entre les personnes qui sont là, entre les différentes communautés quel que soit leur origine », explique-t-elle.
Du Cameroun à Vancouver
Avant de s’établir en Colombie-Britannique en 2000, l’artiste camerounaise avait vécu une grande partie de sa vie à Paris, puis moins de deux ans à Londres. Elle raconte avoir choisi Vancouver par curiosité et avec la volonté de connaître d’autres cultures. Parlant couramment les deux langues officielles, Mme Yenga a su facilement trouver sa place à Vancouver.
Elle raconte toutefois avoir souffert d’un certain isolement culturel vis-à-vis de ses racines natales. « À Paris, on a une grande communauté africaine, et quand j’étais à Londres, j’allais souvent au centre culturel africain. On se retrouvait entre Africain·e·s pour aller danser. Je m’attendais à avoir la même chose quand je suis arrivée ici, en pleine Amérique du Nord. Mais ce n’était pas du tout le cas », témoigne-t-elle avec stupéfaction.
La danseuse professionnelle explique que c’est en grande partie son désir de rester connectée à ses origines qui l’a poussée à devenir une véritable ambassadrice des cultures africaines à Vancouver. Depuis de nombreuses années, Mme Yenga est, en effet, impliquée dans la communauté africaine de la ville, et plus largement dans la communauté francophone. En 2018, elle a été notamment élue présidente du Relais Francophone de la Colombie-Britannique, un organisme chargé d’accompagner les nouveaux-arrivant·e·s.
Le traumatisme de la déconnexion
Lorsque Mme Yenga arrive en France à l’âge de neuf ans, elle expérimente ce qu’elle appelle « le traumatisme de la déconnexion ». Habituée à une communauté chaleureuse et solidaire, elle s’est retrouvée transportée dans un univers qu’elle décrit comme extrêmement froid, où l’individualité est roi, au détriment des connexions avec les autres.
Son choc fut d’autant plus grand en arrivant à Vancouver. Elle relève notamment le manque d’amitié profonde et de relations réelles. « Quand je suis arrivé ici, c’était encore un autre niveau! Je me suis dit qu’il y avait vraiment du travail à faire au niveau communautaire et de la cohésion sociale », livre-t-elle.
Elle raconte avoir été frappée par l’écart entre les codes sociaux des Vancouvérois·e·s et ceux de sa terre natale. Alors qu’à Vancouver la politesse est le maître-mot, elle décrit sa communauté comme beaucoup plus directe dans ses relations aux autres. « Si on est fâché avec quelqu’un, on va régler nos comptes sur le moment. Mais ici, les gens cachent beaucoup et ça fausse les relations. C’est fatigant au bout d’un moment – ça manque de vérité et de profondeur, on a l’impression de ne jamais avoir de vraies relations », détaille-t-elle.
À travers ses représentations, où se mêlent danses, musiques et enseignements traditionnels africains, Mme Yenga tend ainsi aider les gens à retrouver le chemin vers l’Autre. Selon elle, la sagesse africaine peut améliorer sensiblement le mode de vie nord-américain qu’elle décrit comme riche matériellement mais pauvre humainement.
Éduquer à travers la danse et le chant
À son arrivée à Vancouver, la danseuse professionnelle dit avoir été surprise par l’ignorance de ses habitants par rapport à l’Afrique. Elle explique que les préjugés sur les Africain·e·s sont nombreux dans la ville canadienne. « Les gens avaient tellement l’habitude de penser à l’Afrique comme un continent qu’il faut sauver, que tout de suite on voulait être ami avec moi pour que je sois leur projet africain », explique Mme Yenga.
En plus d’homogénéiser l’Afrique malgré son immense diversité culturelle et socio-économique, elle ajoute que beaucoup pensent à tort que les Africain·e·s quittent leur pays uniquement pour fuir la famine et la pauvreté. Or, elle explique qu’un bon nombre viennent en Amérique du Nord pour poursuivre leurs études ou simplement pour voir « si l’herbe y est plus verte », tout comme pourrait le faire une personne originaire de France.
« Parfois, on m’a dit: “Oh, tu dois être tellement contente d’être ici, tu peux enfin manger”. Mais, je mangeais très bien dans mon pays et même mieux qu’ici », s’exclame l’artiste camerounaise. Elle raconte également avoir été souvent considérée comme non éduquée. Elle se remémore notamment une fois être montée sur scène et avoir eu une explication de A à Z sur le fonctionnement d’un microphone.
« Il y avait une ignorance telle que je me suis dit, il faut éduquer les gens », déclare-t-elle. Elle explique avoir choisi d’utiliser la danse, le chant et la musique comme médium afin de faire passer son message plus efficacement et sensibiliser ainsi les Vancouvéroise·s aux cultures africaines.
Alors si l’envie vous vient d’en apprendre plus sur l’Afrique, Mme Yenga vous attend le 24 et 25 juin pour une aventure musicale, mais aussi et avant tout… humaine!
Pour plus d’information, veuillez visiter le site web du Festival d’été francophone de Vancouver.
Après l’obtention d’un Baccalauréat en Science Politique, Daphné commence sa carrière en journalisme dans son pays natal, la Suisse. Elle décide ensuite d’immigrer à Vancouver – territoires non-cédés des Nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh. Avant de prêter sa plume au New Canadian Media, elle a écrit régulièrement pour le journal bilingue La/The Source. Soif d’apprendre, Daphné a été récemment sélectionnée pour une Maîtrise en Journalisme à l’Université de Colombie-Britannique qu’elle commencera en septembre 2022. Elle se passionne pour les enjeux de justice sociale, en particulier lorsqu’il s’agit des personnes réfugiées et des communautés autochtones et 2LGBTQ+.
Daphné Dossios has a Bachelor in political science from her home-country Switzerland. She is passionate about social justice issues, particularly when it comes to refugees and Indigenous communities and 2LGBTQ+. Daphné is continuing her studies in journalism at the University of British Columbia. She acknowledges writing on unceded territories of the Musqueam, Squamish and Tsleil-Waututh Nations.