« Mon diplôme n’est pas acceptable pour l’Iran, mais l’est assez pour l’Université McGill », ironise Shakib Nasrullah, docteur en psychologie diplômé de l’Université McGill. Après avoir étudié clandestinement dans une université qui opère en secret, la Baha’i Institute for Higher Education (BIHE), Dr Nasrullah a immigré à Montréal en 2007 pour y continuer ses études.
D’origine iranienne, Dr Nasrullah est de confession Baha’i, une minorité religieuse oppressée en Iran qui selon Bahá’í World News Service compte plus de cinq millions de membres dans le monde. Depuis sa création en 1979, la République Islamique d’Iran exerce une répression institutionnalisée sur les Baha’is, perçu·e·s comme des opposant·e·s à l’Islam. La minorité religieuse est notamment interdite d’accès aux études supérieures.
Selon le média britannique Iran International, en septembre 2021, le président iranien Ebrahim Raisi, est revenu sur la décision de son prédécesseur d’appliquer le projet mondial Éducation 2030 de l’UNESCO, pour un accès inclusif à l’éducation. Cette décision a avorté l’espoir des Baha’is, comme Dr Nasrullah, d’accéder à un enseignement universitaire en Iran.
« Je n’avais pas de rêve, je voulais juste vivre. »
Dr Nasrullah a grandi sous la répression de la République Islamique d’Iran, située entre l’Irak et l’Afghanistan, où la religion musulmane infiltre toutes les sphères de la vie. Il relate qu’en tant que Baha’i les arrestations, enlèvements, assassinats et mises à pied étaient chose courante. Son père a d’ailleurs été licencié de son poste de cadre de la compagnie de boisson Pepsico inc. pour cette raison, dit-il.
« Je n’avais pas de rêve, je voulais juste vivre », raconte le docteur en psychologie en se remémorant la répression politique qu’il a subie enfant. À l’âge de 9 ans, il explique que son professeur à l’école faisait l’éloge des massacres des Baha’is à Yazd, situé au centre du pays. Il ne vivait pas avec l’insouciance de ses camarades de classe qui aspiraient à devenir pompiers, boulangers ou médecins. Une fois hors de sa maison familiale de Téhéran, lui et sa famille devaient faire profil bas et éviter absolument d’évoquer leur religion au risque d’être accusés de la professer. Sa grande sœur en a d’ailleurs fait les frais et a été expulsée de l’école après avoir été forcée par son institutrice à nommer sa religion.
En 1999, Dr Nasrullah a entamé un baccalauréat à la Baha’i Institute for Higher Education (BIHE), l’université clandestine administrée secrètement par les Baha’is locaux depuis 1987, car elle n’est pas reconnue par le gouvernement iranien. Pour lui, la psychologie était la seule discipline intéressante parmi les quelques cours offerts.
« La nature clandestine de BIHE a nécessité des efforts de coordination considérables de la part des professeurs, des élèves et des familles Baha’is », explique le docteur en psychologie. Il se remémore le premier jour de classe. Les cours se donnaient à l’adresse, transmise par BIHE, d’un Baha’i qu’il ne connaissait pas. Discrètement, il prenait les transports publics pour s’y rendre. Il sonnait à la porte, une voix inconnue lui répondait au parlophone. Il répondait fébrilement qu’il venait y suivre un cours. Une fois dans la maison inconnue, il s’installait. L’ambiance était pesante. Tout le monde présent, les étudiants et le professeur, se découvrait et se dévisageait. Le trimestre débutait dans la crainte latente que des espions du gouvernement soient assis parmi eux et les arrêtent pour enseignement illégal. « On vivait dans une peur constante », se souvient-il.
Un processus de reconnaissance de diplôme laborieux
Son Baccalauréat en psychologie en poche, Dr Nasrullah tente son admission à l’Université McGill. En 2007, peu de gens connaissaient la BIHE et la répression envers les Baha’is en Iran. « McGill avait une liste d’universités reconnues et la BIHE n’était pas dessus », se souvient Dr Niky Kamran, Baha’i Iranien et professeur de mathématiques à McGill qui a facilité la candidature du Dr Nasrullah à la maîtrise en psychologie. Dr Kamran a « de manière pragmatique et très détaillée décrit [à la faculté] la situation politique qui discrimine les Baha’is d’Iran ». Il a aussi compilé les documents qui permettent d’établir les équivalences entre les cours suivis en psychologie à la BIHE et ceux enseignés à McGill.
« Beaucoup d’efforts ont été requis pour fournir les justificatifs adéquats à l’université montréalaise », souligne Dr Nasrullah qui se remémore le stress vécu dû à son avenir incertain alors entre les mains de la bureaucratie académique. Il se souvient qu’à l’époque le Dr Morton J. Mendelson, du département de psychologie de McGill, a soutenu son admission malgré des avis réticents. Dr Mendelson raconte que la faculté est parfois sollicitée pour des cas d’inscription atypiques. En tant que juif, la cause du Dr Nasrullah lui « tenait particulièrement à cœur vu l’injustice subie par les Baha’is ».
Une fois admis à la maîtrise en psychologie à McGill, Dr Nasrullah a dû patienter environ sept mois pour recevoir son permis d’étude pour le Canada. Il précise que depuis 2003, « les relations avec l’Iran étaient tendues à la suite de l’arrestation et de la torture fatale de Zahra Kazemi, reporter irano-canadienne, dans la prison d’Evin », située au nord de Téhéran. «[En automne 2007], j’ai pu enfin suivre mes premiers cours universitaires officiels avec deux semaines de retard et une pression énorme sur les épaules pour prouver que j’étais digne d’étudier à l’Université McGill. »
Aujourd’hui, la BIHE est reconnue à l’Université McGill et Dr Nasrullah, titulaire d’un doctorat en psychologie depuis 2020, est membre actif du comité administratif de la BIHE où il y enseigne plusieurs cours.
À l’attention de Caroline Samii.
Chère Caroline,
Ton papa a partagé ton article sur un groupe Whatsapp des bahá’ís de Bruxelles. D’ abord, je te félicite pour cet article tout à fait professionnel.
J’ai cependant demandé à Kambyse si la BIHE existe toujours, et continue à fonctionner clandestinement. Il m’a simplement suggéré de te contacter, ce qui maintenant est fait.
Dans l’attente de ta réponse.
Alláh-u-Abhá
Pierre