Il est minuit à New Delhi. Twisha Singh est toujours devant son écran. Souvent, elle travaille jusqu’à 3 heures du matin afin d’aider ses étudiants à Montréal : à l’autre bout du monde.
Singh est doctorante en histoire à McGill. L’année dernière, elle s’est retrouvée au Québec en pleine pandémie et s’inquiétait pour ses parents en Inde. Elle profite de l’assouplissement des conditions de voyage en janvier pour rentrer chez eux.
« Je suis fille unique, alors mes parents vivaient tout seuls. Je suis heureuse d’être avec eux maintenant, » dit la doctorante qui poursuit ses études à distance tout en s’occupant de sa famille.
Depuis le début du semestre d’hiver, c’est par Zoom que Mme Singh communique avec ses étudiants. L’enseignement à distance lui donne une certaine flexibilité qu’elle apprécie. Ça lui a permis également de trouver un équilibre entre ses recherches en Inde et son travail comme auxiliaire d’enseignement. Ce n’est pas pourtant sans défi.
Parfois, ses étudiants disparaissent. Sur Zoom, ils cachent leurs visages.
« On se retrouve devant de petits carrés noirs et on voit à peine avec qui on parle. Les cours à présentiel me manquent, ça c’est clair, » dit-elle.
Elle avait dû mettre ses recherches sur pause. Partout dans le monde, des archives ont fermé pendant le confinement. Bien que l’Inde ait assoupli certaines restrictions à Delhi, d’autres restent en vigueur. Elle ne peut accéder aux archives que durant des plages d’horaires restreintes.
On parle d’une autre vague de Covid-19 qui frapperait l’Inde. « Rien n’est certain, » dit Mme Singh. « Je pense que, dans un mois ou deux, les archives vont fermer encore une fois. »
Entre la fermeture des frontières et la transition vers l’apprentissage à distance, des étudiants internationaux au Québec se retrouvent durement frappés par la pandémie. Alors qu’ils suivent désormais tous leurs cours en ligne, certains d’entre eux ont connu une baisse de morale en plus des problèmes financières.
« C’est tellement facile à se débrancher de l’université » dit Alec Regino. Originaire des Philippines, M. Regino poursuit une maîtrise en sociologie à McGill. Interagir avec ses collègues sur le campus lui manque : il en va de même pour une vie sociale saine. Communiquer avec ses professeurs est un tout autre défi.
« On est limité à les contacter par courriel, en espérant qu’ils nous répondent. Certains professeurs se montrent disponibles, mais beaucoup d’autres ne le sont pas, » poursuit-il.
Stress financier
Le décrochage universitaire étant un problème, l’argent est encore plus anxiogène pour Alec Regino. C’est aussi à McGill où il a fait son baccalauréat. Pour payer ses frais de scolarité, il travaillait sur campus pendant que sa famille le soutenait. Mais lorsqu’il a commencé sa maîtrise en 2020, en pleine pandémie, ses frais ont augmenté d’environ3 000 $ par semestre.
« Ça m’énerve qu’on ait augmenté mes frais de scolarité à un tel point et je devrais suivre mon programme entièrement en ligne, » dit M. Regino.
L’une des raisons pour lesquelles il a opté pour le Québec était que les frais internationaux avaient été mieux réglés et étaient ainsi plus abordables qu’ailleurs au Canada. Tout a changé à partir de 2018 lorsque le gouvernement québécois a décidé de dérèglementer ces frais, donnant aux universités le champ libre quant à la facturation des étudiants étrangers.
Pour combler le manque de financement public, des universités québécoises, comme ailleurs au Canada, dépendent de plus en plus des revenus puisés dans leurs frais de scolarité. Ceux-ci ont plus que doublé depuis 2009. Les frais internationaux facturés par des universités comme McGill peuvent aller jusqu’à cinq fois plus que le taux domestique, et ce, en dépit de la pandémie et la transition vers l’enseignement à distance.
Des étudiants étrangers qui se sont inscrits aux institutions canadiennes — mais qui se retrouvent coincés dans leurs pays d’origine à cause de la pandémie — paient toujours les mêmes frais.
Jade Marcil, la présidente de l’Union étudiante du Québec (UÉQ) trouve cela injuste. Elle espère que la pandémie mènera à une remise en question de l’encadrement des universités québécoises.
« Des universités devraient s’assurer que des étudiants internationaux ont accès à l’aide financière, » dit Mme Marcil, soulignant que des étudiants étrangers n’avaient pas accès à la Prestation canadienne d’urgence pour les étudiants (PCUE). La PCUE était un programme fédéral de soutien financier destiné aux étudiants canadiens. Le programme s’est terminé en septembre 2020.
Dans le contexte de la crise sanitaire, Mme Marcil souligne l’importance de réduire des frais supplémentaires, dont des frais sportifs, afin de limiter le fardeau économique qu’absorbent tous les étudiants.
Twisha Singh dit que la pandémie lui a apporté beaucoup de stress financier. Sa thèse est une course contre la montre. Coincée à Montréal l’année dernière, elle a perdu un an durant lequel elle aurait pu poursuivre ses recherches en Inde sur l’histoire des femmes et du théâtre en Asie du sud. Elle a dû prolonger son programme. Mais il n’y a aucune garantie que le département d’histoire à McGill prolonge sa bourse d’études au-delà de sa quatrième année.
« Après ma quatrième année, je n’aurai plus de financement alors je n’ai qu’un an et demi pour terminer ma thèse. » Mme Singh espère que son université décide de fournir des bourses scolaires aux chercheurs internationaux étant donné la pandémie.
La santé mentale
Les exigences universitaires sont un autre défi à surmonter. Malgré les bouts de dépression que M. Regino a naguère subis, il ne pouvait pas abandonner des cours, comme le faisaient ses autres collègues. Chaque semestre, des étudiants internationaux doivent suivre un certain nombre de cours à temps plein afin de maintenir leur statut et rester au Canada.
L’UÉQ a tiré la sonnette d’alarme sur la crise de santé mentale bouleversant le milieu universitaire au cours de la pandémie. Jade Marcil met l’accent sur les rapports entre le stress financier et la détresse psychologique. À son avis, il faudrait mettre en place un fonds d’urgence offrant des services de soutien psychologique qui serait rendu plus accessible aux étudiants internationaux.
« Il faut mieux former le corps professoral, » dit la présidente de l’UÉQ, « et le sensibiliser aux réalités des étudiants internationaux. En ce moment, il n’y a pas beaucoup de flexibilité pour eux. »
Chez ceux qui étudient dans un pays étranger, l’éloignement de la famille pèse également sur la conscience. L’isolement du confinement alimente le sentiment de désespoir. Malgré tout, Mme Singh et M. Regino sont bien conscients de leur bonne chance par rapport à beaucoup d’autres gens dans leurs pays d’origine.
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Cet article a été produit dans le cadre du programme de mentorat avancé de NCM dirigé par Susan Harada et Judy Trinh. Il a été publié initialement en anglais.
Having worked for a couple of years in the non-profit sector in Manila,
Christopher has written about aid and international development, human rights, immigration and armed conflict in diverse contexts. He is a member of the NCM-CAJ Collective and works as a freelance journalist.