Le Canada, à l’échelle mondiale, a connu une histoire fructueuse en matière d’immigration. Le pays a eu la chance de disposer d’un vaste territoire et d’océans permettant un contrôle efficace des flux migratoires ainsi que d’un allié politique stable le long de la frontière non défendue au sud. L’histoire politique et culturelle du Canada est marquée par un bagage important, mais le pays a évolué pour devenir un endroit où les migrants du monde entier sont accueillis en grand nombre pour soutenir la croissance économique et démographique, et où ils peuvent se bâtir une nouvelle vie, pour eux-mêmes et leurs enfants, en tant que citoyens.
Nos recherches révèlent que la diversité ethnoculturelle du Canada est aujourd’hui l’une des plus fortes sources de fierté et d’identité nationales.
Cette réussite n’a jamais été pleinement acceptée par l’ensemble des Canadiens, comme en témoigne notre histoire marquée par les préjugés et le racisme à l’égard de chaque vague de nouveaux arrivants, qu’ils soient Irlandais, Chinois, Indiens ou musulmans. De tels phénomènes xénophobes persistent aujourd’hui dans notre société, mais ils se manifestent surtout en marge de la vie publique, et non au centre de celle-ci. Même dans le contexte actuel de polarisation politique, l’immigration n’est pas un champ de bataille, et aucun grand parti politique, à quelque niveau que ce soit, n’a adopté le type de rhétorique anti-immigration que l’on trouve couramment dans d’autres pays occidentaux. Nos recherches ont montré que l’opinion publique canadienne, dans l’ensemble, a soutenu l’immigration et l’accueil de réfugiés au cours de la dernière décennie, malgré des perturbations comme la pandémie mondiale de COVID-19, des élections fédérales controversées et des ralentissements économiques.
En 2023, cependant, quelque chose a changé. L’augmentation rapide des niveaux d’immigration (un nombre record de 1,1 million de nouveaux arrivants sont arrivés en 2022) s’est heurtée aux infrastructures sous pression du pays, et les Canadiens l’ont remarqué. Dans notre dernier sondage national réalisé en septembre en partenariat avec L’Initiative du siècle, plus de quatre Canadiens sur dix sont désormais d’accord avec l’affirmation “il y a trop d’immigration au Canada”. Cette opinion reste minoritaire, mais elle a augmenté de 17 points de pourcentage dans les 12 derniers mois, ce qui représente le changement annuel le plus important de cette mesure en quatre décennies d’études.
La principale cause de cette augmentation est l’inquiétude croissante concernant l’impact potentiel des nouveaux arrivants sur la disponibilité et l’accessibilité financière du logement, désormais largement qualifiée de crise. Mais le déclin de la confiance du public envers une économie où l’inflation reste élevée et, plus généralement, envers l’orientation générale du pays, joue également un rôle.
Fait notable, ce changement n’est pas attribuable aux opinions d’une région ou d’un groupe démographique en particulier, mais se manifeste dans tout le pays. Les inquiétudes concernant les niveaux élevés d’immigration sont en hausse partout, mais davantage en Ontario et en Colombie-Britannique, ainsi que parmi les Canadiens de première génération – les segments de la population les plus susceptibles d’être affectés par les coûts élevés du logement. Ce point de vue est également partagé par près des deux tiers des propriétaires, qui s’inquiètent beaucoup de l’abordabilité de leur logement actuel.
Ce qui n’a pas changé en 2023, c’est l’opinion des Canadiens sur les immigrants eux-mêmes. Une grande majorité continue de dire que l’immigration a un impact positif sur l’économie, et les opinions sur des enjeux plus controversés comme la légitimité des réfugiés et l’intégration des nouveaux arrivants sont restées stables dans la dernière année. Sur le plan local, les Canadiens affirment en grande majorité que les immigrants améliorent la situation de leur communauté plutôt que de la détériorer.
Les gens sont acceptés dans le pays selon différentes voies. Lorsqu’on leur demande quelles catégories devraient être prioritaires, les Canadiens ont tendance à privilégier les travailleurs qualifiés (qu’il s’agisse de personnes possédant des compétences spécialisées très demandées ou de nouveaux résidents permanents arrivant avec un bon niveau d’études), suivis par les réfugiés et le regroupement familial ; la priorité la plus faible est accordée aux travailleurs temporaires et aux étudiants étrangers. Cependant, seule une proportion infime de Canadiens (0,01 %) considère toutes ces catégories comme peu prioritaires.
Nos dernières recherches suggèrent que, peut-être pour la première fois de son histoire, le Canada est aujourd’hui confronté à des questionnements sur sa capacité d’accueil des nouveaux arrivants à un moment où l’économie, et le logement plus particulièrement, sont sous pression. L’attention du public s’est déplacée de ses préoccupations historiques sur le type d’immigrant à accepter vers le nombre d’entre eux qui arrivent dans nos communautés.
L’opinion publique est essentielle au maintien du succès du Canada en tant que nation d’immigrants. Aujourd’hui, elle est plus fluctuante que jamais au cours des dernières décennies, et l’avenir est incertain. Le pays fait-il face à un dos d’âne, ou est-il à la croisée des chemins? La question de la capacité d’immigration peut se régler avec le temps, grâce à l’amélioration des conditions économiques et à des décisions politiques efficaces. En revanche, si nos communautés ne parviennent pas à relever le défi de fournir les infrastructures essentielles nécessaires pour soutenir la croissance démographique, nous pourrions voir les Canadiens se retourner contre l’histoire positive de notre nation d’immigrants, et contre les nouveaux arrivants eux-mêmes.
Les deux prochaines années seront une période charnière dans l’histoire de notre pays.
Keith Neuman is a Senior Associate with the non-profit Environics Institute for Survey Research, where he leads groundbreaking research on immigration and refugees, social values among Canada’s youth, and social norms. Since the 1980s, Neuman has worked in a senior capacity with leading organizations in the public, private and non-profit sectors in Toronto, Halifax and Ottawa.