Des livres pour réunir : la première bibliothèque ukrainienne ouvre à Montréal - New Canadian Media
Nathalie Smolynec fait partie des membres de la Fédération nationale ukrainienne du Québec investis dans ce projet de bibliothèque. Photo : Clément Lechat.
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Des livres pour réunir : la première bibliothèque ukrainienne ouvre à Montréal

Séparés de leurs livres préférés, les enfants ukrainiens ont maintenant accès à une collection jeunesse pour retrouver les histoires qu’ils ont dû abandonner. Le moyen de commencer à faire face ensemble aux traumatismes de la guerre.

Trop lourds et encombrants, les livres sont souvent les grands oubliés des valises des enfants réfugiés. On en met un ou deux, puis on croise les doigts pour que le reste de la collection soit intacte le jour où on reviendra. Une perte que la Fédération nationale ukrainienne (FNU) du Québec espère combler avec sa nouvelle bibliothèque. Pour cela, elle a fait importer d’Ukraine des livres par centaines pour remplir les rayons du lieu inauguré le 30 avril 2023 dans le quartier Outremont.

Au cœur de ce projet se trouve Oksana Kuznetsova, bibliothécaire bénévole qui a quitté son pays en septembre 2022. Elle ne cache pas son impatience de partager à nouveau sa passion avec les jeunes de la communauté. Les livres, c’est toute sa vie. Après plus de vingt ans d’expérience, s’arrêter à cause de la guerre était inconcevable.

L’invasion russe en février 2022 et la vague de réfugiés qui a suivie ont motivé la FNU à apporter une solution aux familles, surtout aux enfants. « C’est un projet que nous avons commencé il y a quelques mois, mais l’aspiration d’avoir une bibliothèque ici à la FNU date d’il y a quelques années », indique Darya Naumova, Vice-Présidente de la FNU.

Depuis mars 2022, près de 150 000 Ukrainiens sont arrivés au Canada grâce à l’Autorisation de voyage d’urgence Canada-Ukraine (AVUCU), un programme fédéral leur permettant de demander un visa de résident temporaire. Beaucoup sont des femmes et des enfants, car la loi martiale empêche les hommes en âge de combattre de sortir du pays.

Les enfants d’abord

Poésie, encyclopédies, livres d’histoire… Il y a au total environ 5 000 livres sur les étagères de la bibliothèque. Surtout, la FNU a concentré son énergie sur la collection jeunesse, la plus demandée de toutes, pour créer un lieu réconfortant où les enfants peuvent se sentir comme à la maison.

La langue et l’environnement sont si différents à Montréal qu’ils en sont parfois déboussolés, explique Kathy Smolynec, membre de l’organisation communautaire. « Ils ont perdu leurs copains », regrette la Canadienne-Ukrainienne de deuxième génération. « C’est important pour eux de rencontrer d’autres enfants qui sont dans la même situation », renchérit la bibliothécaire Oksana Kuznetsova.

Plus de 5000 livres peuvent être empruntés à la bibliothèque. Photo : Clément Lechat

Les livres d’images colorées, les bandes dessinées et les contes de fées ont été importés de différentes régions d’Ukraine. Les enfants peuvent donc retrouver des histoires qu’ils connaissent bien, mais aussi des histoires plus connues au Canada comme le Monde de Dory.

Chaque dimanche, des lectures seront organisées pour les enfants. Des membres de la communauté se relayeront pour lire des histoires, telles que Katya Dudnik, membre du collectif KOLO, un groupe promouvant la culture ukrainienne au Québec. L’artiste et illustratrice de livres est arrivée à Montréal en janvier 2023 avec ses deux fils après un passage par l’Autriche. Si avant la guerre, elle exerçait dans la capitale ukrainienne, elle dispose aujourd’hui d’un studio d’art au sein du Musée et Centre d’art de Montréal. En dix ans de carrière, elle a travaillé sur des livres jeunesse, mais aussi des ouvrages contemporains et d’auteurs connus à l’international.

Katya Dudnik pose devant l’une de ses peintures. Photo : Katya Dudnik.

L’artiste est une habituée de la FNU, où elle anime avec sa sœur des ateliers créatifs pour enfants tous les dimanches.

Conserver la culture, chasser les traumas

Accroché au fond de la salle, le portrait du poète Taras Shevchenko surplombe la bibliothèque. Les étagères affichent aussi fièrement les œuvres de cette icône du XIXe siècle. Persécuté de son vivant par l’Empire russe pour ses idées indépendantistes, il est devenu une figure littéraire résistante qui fédère beaucoup d’Ukrainiens. On appelle aujourd’hui l’ukrainien « la langue de Shevchenko ».

Sa présence était évidente dans la bibliothèque. « On veut que les enfants gardent leur langue maternelle et leur culture », indique Oksana Kuznetsova. Après avoir fui la guerre avec leurs parents, les enfants arrivent à Montréal et sont directement inscrits dans des écoles francophones où ils ne peuvent pas toujours lire les livres disponibles. En guise d’alternative, Oksana Kuznetsova souhaite promouvoir la lecture en ukrainien.

La bibliothèque est aussi « une opportunité pour les enfants de retrouver leur identité en explorant les différentes parties de la culture ukrainienne », souligne Darya Naumova, arrivée au Québec en 2011 à l’âge de 17 ans.

Darya Naumova, Vice-Présidente de la Fédération nationale ukrainienne du Québec, s’inquiète de la santé mentale des enfants réfugiés. Photo : Clément Lechat.

Résidente en première année de psychiatrie à l’Université McGill, Darya Naumova a observé que de nombreux enfants souffrent d’anxiété, voire sont traumatisés. Pour eux, la bibliothèque « est un espace sécurisant », explique-t-elle. Chaque dimanche, une activité de groupe pour les adolescents de 10 à 14 ans est organisée à la FNU où les jeunes peuvent partager leurs émotions avec d’autres enfants et adolescents vivant la même situation.

À la bibliothèque, l’un des livres les plus populaires est justement un guide d’accompagnement pour les enfants souffrant de tristesse profonde liée aux conflits armés. Écrit par un psychologue ukrainien, ce livre a déjà une longue liste d’attente pour être emprunté.

Des sessions de psychothérapie individuelle et de groupe sont aussi offertes à la FNU en partenariat avec le Réseau d’intervention auprès des personnes ayant subi la violence organisée, RIVO Résilience.

Réunir une communauté éparpillée

Au-delà du soutien aux enfants, la bibliothèque est d’autant plus importante qu’elle pourrait être un moyen de réunir une communauté éparpillée. « Il y avait beaucoup d’activité dans les années 40, 50, 60 et 70 », selon Nathalie Smolynec, membre de la FNU, dont les parents ont quitté l’Ukraine après la Seconde Guerre mondiale. Les Ukrainiens s’installaient aussi en groupe dans les quartiers de Montréal, comme Le Plateau et Outremont, où le siège de la FNU est situé.

Nathalie Smolynec est très investie dans la réorganisation des archives de la FNU. Situées dans une pièce adjacente à la bibliothèque, elles recèlent de documents témoignant du riche passé des Ukrainiens d’Europe et des Amériques. Photo : Clément Lechat.

La réalité est toute autre aujourd’hui. « Le Plateau est devenu plus cher et les gens s’établissent à Longueuil, dans les banlieues. Ils sont dispersés », déplore Nathalie Smolynec. Cette distance impacte la capacité des nouveaux arrivants à se soutenir mutuellement.

La récente vague de nouveaux arrivants fuyant la guerre a d’ores et déjà apporté un nouveau souffle à la communauté. Pour attirer encore plus d’adultes dispersés en ville, des livres contemporains ont été commandés. 90 personnes sont déjà enregistrées à la bibliothèque, mais Nathalie Smolynec espère rallier de nouveaux membres et leurs enfants lors de l’inauguration le 30 avril.

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Clément Lechat

Après des études de sciences politiques en France et un passage par la presse franco ontarienne à Toronto, Clément Lechat s'installe à Montréal et sort diplômé du D.E.S.S en journalisme de l'Université Concordia. Passionné de politique, il s'intéresse aux questions migratoires, de langues et de logement. Il poursuit actuellement des recherches sur le milieu médias au sein du programme de Maîtrise en journalisme de Concordia.

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