De nombreux Marocains laissent derrière eux une vie stable, le soleil et le beau temps pour immigrer au Canada, en quête de valeurs humaines et d’un meilleur épanouissement personnel et professionnel. Si le recours aux avocats et aux cabinets d’immigration était courant durant la décennie précédente, le succès du programme Entrée Express d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) et la fluidité du processus ont encouragé les nouveaux arrivants à suivre la démarche seuls.
D’après les personnes interrogées par nos soins, dont certaines ont accepté de parler sous le couvert de l’anonymat, toute la procédure est clairement expliquée sur le site web du gouvernement canadien. Les groupes d’entraide sur Facebook et sur Whatsapp, les chaînes sur YouTube et les blogs des nouveaux arrivants déjà installés au Canada représentent également des ressources considérables en information.
Une procédure simple mais non sans obstacles
Hajar Khassime, 30 ans, qui s’est récemment installée à Montréal, s’est également lancée seule dans l’aventure. Ses amis qui l’ont précédée l’ont énormément soutenue : Elle a choisi de s’engager dans la procédure toute seule après avoir vu beaucoup de ses amis partir au Canada. Internet a aussi été une source importante d’information, précise-t-elle.
«J’ai beaucoup été aidée par les groupes Facebook, ce qui m’a fait économiser de l’argent. C’est un peu long, il y a beaucoup de paperasses, les consignes ne sont pas claires». Hajar dit avoir commencé la procédure en novembre 2020, et a pu obtenir son visa 15 mois après.
Si la procédure semble courte et rapide à priori, le déclenchement de la pandémie a perturbé les dossiers de plusieurs candidats. Sara, jeune maman marocaine, raconte comment son dossier est tombé dans les oubliettes en mars 2020, et qualifie la procédure de «catastrophique». Avec son mari, elle a décidé d’entamer la procédure d’immigration en 2019, et a reçu une demande de présenter son dossier en septembre. «A quelques jours de la fin des six mois de traitement du dossier, la pandémie a été déclenchée».
Puis, la descente aux enfers a débuté, poursuit notre interlocutrice. «Nous n’avons plus eu aucun signe de vie de la part du bureau qui traitait notre dossier, même après la fin du confinement». Elle a joint ses efforts à ceux d’une trentaine de personnes, également dans le même cas. Ensemble, ils ont envoyé des courriers, signé des pétitions, en vain.
Un an après, elle reçoit un coup de fil, l’informant qu’il n’y aura aucun progrès tant que les restrictions de voyage sont reconduites. Ce n’est qu’en février 2022 qu’elle a reçu une demande d’effectuer une nouvelle visite médicale, signe de la reprise du traitement du dossier.
Mais le calvaire est loin d’être fini : «Nous avons décidé de faire un soft landing (atterrir au Canada, valider la résidence permanente et revenir au Maroc pour finaliser nos affaires). Nous avons été surpris par un problème de photo dans la carte de résidence du bébé». Jusqu’au jour d’aujourd’hui, elle attend toujours un retour définitif de la part de l’IRCC.
Amina, fille célibataire originaire de Casablanca, a également suivi la procédure seule, après avoir eu recours aux services d’un bureau d’immigration dans un premier temps. Elle a décidé d’immigrer au Canada dans un premier temps en 2013, et a recouru aux services d’un cabinet d’immigration très connu à Casablanca, avant d’abandonner le projet pour des raisons familiales. En 2021, elle s’est lancée dans la procédure Entrée Express toute seule sans recourir à un agent. «J’ai dû compter sur l’esprit de partage et de générosité des groupes ainsi que sur la disponibilité de l’information sur internet, j’ai pu soumettre mon dossier sans problème», conclut-elle.
Un projet pour mon bébé
Célibataires, couples sans enfants, et jeunes parents le répètent unanimement : ils choisissent de s’installer au Canada pour garantir un bel avenir à leurs familles. Sara, dont la situation financière est très confortable au Maroc, explique que son choix est motivé par trois raisons: Premièrement, le système social du Canada qui garantit aux citoyens et aux résidents permanents des offres de soin gratuites et des allocations de chômage en cas de perte d’emploi. «Au Maroc, il suffit que l’un de nous perde son travail et tout va s’écrouler».
Ensuite, la qualité de vie : pour Sara, le Canada est un pays développé avec beaucoup d’espaces verts et beaucoup d’opportunités d’épanouissement. La troisième raison est l’avenir de son fils, nous dit-elle: «il sera beaucoup plus épanoui au Canada, car il n’y a pas une pression sur les enfants pour réussir à l’école à tout prix. Il aura le choix d’être artiste, ouvrier, d’avoir un bel avenir peu importe son niveau scolaire». Cette mentalité n’existe pas dans les autres pays, regrette-t-elle.
Jihane, jeune maman originaire de Marrakech, la quatrième ville la plus grande du Maroc, va dans le même sens : «Au Maroc, on se saigne pour payer à notre fille une éducation de qualité». L’éducation lui coûte à elle et son mari plus de 45.000 dirhams marocains par an (environ 6000 dollars canadiens), «sans parler des frais supplémentaires, alors qu’elle n’a toujours pas atteint six ans». Au Canada, elle se réjouit de la possibilité d’inscrire sa fille dans une école de qualité, qui lui garantit une très bonne éducation, sans devoir payer de gros montants.
Au Canada… à jamais ?
Les personnes interrogées ambitionnent en grande majorité de rester au Canada pour le restant de leur vie, malgré le froid et l’éloignement géographique du Maroc. C’est le cas de Hajar Khassime : «Je me plais bien au Canada. Après, on ne sait pas ce que la vie nous réserve».
Amina est quant à elle, toujours indécise. «Certainement, je vais revenir un jour pour partager mon savoir, pour investir, pour faire de l’associatif, mais je ne peux pas trancher si je reviendrai de façon définitive». Elle tient par ailleurs à montrer son attachement au Maroc, à ses traditions et sa culture à travers les valeurs qu’elle cherche à véhiculer au Canada en tant que membre de la diaspora marocaine.
Jihane est catégorique : pour elle, l’avenir, c’est le Canada : «La seule raison pour laquelle je pourrais revenir est si je ne m’en sors vraiment pas». Si elle tient à ce que ses enfants restent attachés à leur origine, elle veut surtout en faire de bons citoyens, qui s’approprient l’identité de la citoyenneté canadienne. «Si le Canada est réellement ce que je pense, je ne vois pas de raison pour le quitter», conclut-elle.
A noter qu’il n’existe pas de données fournies par le gouvernement sur le nombre de personnes qui quittent le Canada pour retourner dans leur pays d’origine. Statistique Canada publie cependant des chiffres sur les émigrants internationaux, qui comprennent des Canadiens qui quittent le pays pour s’installer à l’étranger ainsi que des non-Canadiens qui quittent le pays pour retourner dans leur pays d’origine. Environ 33 000 personnes ont émigré du Canada en 2020, soit une baisse par rapport aux années précédentes.
Cet article est le deuxième d’une série en deux parties sur la diaspora marocaine au Canada. Vous pouvez consulter la première partie ici.
Note de la rédaction : Nous croyons que les citations et les exemples avec des noms réels ont plus de poids, donnent de la crédibilité au reportage et augmentent la confiance du public dans New Canadian Media. Cela dit, il arrive que les journalistes aient besoin de sources confidentielles pour servir l’intérêt public.
Mohamed Berrada
Mohamed est un journaliste francophone qui a récemment immigré du Maroc au Canada. Dans son pays d'origine, il a plus de huit ans d'expérience dans le journalisme et la communication. Il a commencé sa carrière comme journaliste de production à Medi1TV et Luxe Radio, avant de rejoindre le groupe OCP, leader mondial sur le marché des produits fertilisants phosphatés, en tant qu'attaché de presse international. Il a également travaillé à la rédaction de Telquel, le plus célèbre magazine imprimé du Maroc. Avant de venir au Canada, Mohamed a travaillé comme pigiste, notamment pour SNRTNews.com, le média numérique de l'État. Mohamed est diplômé en sciences politiques et en relations internationales et a étudié à l'EGE de Rabat (Maroc), à l'université Virginia Tech (États-Unis) et à l'IEP d'Aix-en-Provence (France).